Pourquoi le numérique force les managers à repenser leur rôle

Doppé par la crise, le numérique a pris une place majeure dans les entreprises et au sein des équipes durant le confinement. Utiles mais pas anodins, ces outils permettent de travailler à distance mais influent aussi profondément sur les managers, les cadres et leur place dans l’entreprise.

Le confinement a entraîné l’avènement du télétravail, obligeant salarié·e·s et managers à chambouler leur manière de collaborer ensemble. Si la situation a été un peu complexe pour certaines d’entre elles au départ, beaucoup de sociétés y ont finalement trouver leur compte, ne serait-ce que momentanément. Les réseaux sociaux et les canaux conversationnels ont permis de diffuser rapidement des informations, de réaliser des réunions ou des ateliers de brainstorming à distance. Allié en période de confinement ou dans le cadre du télétravail, le numérique demeure tout de même un défi pour les managers et les cadres.

 

L’illusion d’une horizontalité des relations 

À l’heure actuelle, « nous partageons tous un idéal de startup où chaque salarié serait au même niveau, impliqué dans un projet au sein d’une entreprise » , explique Michael Stora, psychologue et psychiatre fondateur de l’Observatoire des mondes numériques en science humaines. Cette idée se trouve confortée par les outils en ligne. « Les réseaux sociaux internes d’entreprise donnent l’impression d’une certaine horizontalité au sein de la société » , comme si chacun pouvait parler aussi librement que son supérieur, proposer ses idées sans être interrompu ou devoir demander la parole.

Avec le numérique et le télétravail, les frontières de temps disparaissent. Les horaires deviennent plus flous et l’obligation d’être tiré à quatre épingles devant son patron à 8h pétantes disparaît. « Le tutoiement, déjà initié depuis quelques temps par le modèle startup vient renforcer l’absence de frontière claire » entre le manager et le managé.

Malgré les louanges portées à l’entreprise libérée, « on s’est rendu compte assez tôt qu’il y avait un effet pervers à cette illusion de proximité avec un manager qui veut être cool » tout en conservant son statut d’autorité. Les réseaux d »entreprise jouent un véritable rôle dans cette problématique loin d’être anodine. Lors d’une conférence à laquelle il participait avec Orange, Michael Stora a été interpellé par une responsable sur la mise en place d’un groupe WhatsApp au sein de la société. « Cela ressemble à une sorte d’intranet en réalité et c’est un piège. Soit vos êtes intégré (en tant que manager) et vous risquez de basculer » dans la frontière de l’intime où le collègue devient ami, « soit vous n’y êtes pas et c’est inquiétant «  car cela signifie peut-être que vous êtes critiqué en tant que responsable. Cette pratique est une « nouvelle tendance qui symbolise ce déni du clivage nécessaire entre managers et managés » . 

 

À distance, on devient juste une image 

Réussir à communiquer et collaborer à distance, échanger des dossiers et des informations, travailler sur le même dossier ou le même fichier en même temps ou encore réaliser une réunion d’étape via Teams sont des atouts indéniables portés par le numérique, particulièrement en temps de crise où le contact reste essentiel. Mais attention à ne pas voir dans la technologie un substitut suffisant aux relations humaines, loin de là. 

Le problème résulte surtout de l’image que nous renvoyons derrière notre écran. Rassurez vous, il ne s’agit en aucun d’un laïus sur le style vestimentaire à adopter. Lorsqu’on est à son bureau, le manager est clairement identifié par son bureau, sa posture, les directives qu’ils donnent, etc…Mais à distance, comment réussit-il à exister en tant que manager ?

Pour répondre à cette question, Michael Stora prend l’exemple des réunions réalisées à distance. « Ces échanges donnent une perception partielle de l’autre, une image de l’autre qui n’est pas l’autre » . Dans le cadre d’une réunion en présentiel, « les cinq sens sont convoqués, on se sent plus impliqué et il est plus facile de prendre des décisions communes » . À distance, on se déconcentre facilement, on est souvent attiré par l’image plus que par le discours. Cela pousse certains managers à vouloir rappeler leur rôle. « Dans des réunions Zoom, j’ai pu observer des managers se mettre dans la posture du professeur qui distribue la parole de manière presque autoritaire. Et ce n’était pas dans l’optique de modérer un débat et permettre à chacun de s’exprimer » , déclare Michael Stora. Ce pouvoir absolu était une manière de souligner sa place de chef.    

Dans ce cadre, les managers doivent être particulièrement attentifs à leurs salarié·e·s pour réussir à les impliquer. Ils doivent « davantage travailler en amont leurs interventions et essayer de réunir leurs équipes pour discuter d’un seul et même projet » . La mise en place de rituels et la mise en avant de tous les interlocuteurs·rices présent·e·s peuvent aider à reconstruire la structure d’une équipe oeuvrant autour d’un manager. Cette (re)connexion réelle peut aussi passer par des prises de parole plus informelles pour « dire quelque chose sur soi » qui relève du personnel sans tomber dans l’intime. 

Le numérique n’est pas l’initiateur de toutes ces interrogations sur la position et la place du manager dans l’entreprise et au sein de ses équipes. Le modèle « startup » a créé une sorte d’illusion selon laquelle l’égalité était un idéal. « Les Millenials se rebellent contre un management trop vertical mais, dans le même temps, ils sont en quête de sens et surtout de reconnaissance » , analyse Michael Stora. C’est surtout l’évolution de la société qui rend le rôle du manager mouvant et compliqué. En tant que « facilitateur, révélateur et amplificateur », le numérique renforce des tendances déjà présentes depuis quelques années.  

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