Baromètre LinkedIn de l’emploi: le télétravail commence à perdre du terrain

La part des emplois sur LinkedIn proposant de télétravailler est en chute libre. Le signe que les employeurs français sont moins flexibles qu’il y a quelques mois. Enquête.

Par: Tiffany Blandin

Pendant les premiers mois de la pandémie de Covid-19, le groupe de presse qui emploie Mathilde* a fermé ses bureaux. Mais après avoir goûté aux joies de la flexibilité, cette chargée RH et ses collègues ont dû se faire une raison. La direction refusant de renégocier les accords de télétravail déjà existants, ce serait une journée à domicile par semaine, pas plus. “Cela n’est pas passé du tout, se désespère-t-elle. On a connu une vague de démissions sans précédent. Nous sommes dans un groupe familial vieillissant, qui ne saisit absolument pas les enjeux derrière le télétravail.” 

Les employeurs français seraient-ils revenus à leurs vieilles habitudes? Les chiffres exclusifs publiés aujourd’hui par LinkedIn montrent un net recul des emplois offrant la possibilité de télétravailler (voir méthodologie en bas d’article). En avril dernier, 9,8% des offres d’emploi publiées sur le réseau évoquaient la possibilité de faire du télétravail. Mais cette part n’a fait que diminuer depuis. Ainsi, en octobre, seulement 6% des annonces étaient concernées. Preuve que le travail à distance est de moins en moins ancré dans les habitudes des employeurs français. “C’est quand le télétravail est réellement, officiellement, instauré dans l’entreprise que cela se voit sur les offres d’emploi, explique Yann-Maël LARHER Ph.D, avocat spécialiste du numérique. Les recruteurs savent que cela attire les candidats, mais ne le précisent que s’ils sont certains de pouvoir se montrer réellement flexibles une fois le candidat embauché.”

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Les managers seuls à décider

Pour mieux comprendre cette tendance, LinkedIn Actualités a lancé un appel aux professionnels des ressources humaines. Nous avons reçu plus d’une centaine de réponses. Il en ressort que des accords collectifs prévoyant deux ou trois jours de télétravail par semaine ont été signés chez bon nombre d’employeurs. Les exemples sont nombreux dans les grands groupes, les entreprises de la technologie, ainsi que dans les organisations publiques. Voici des témoignages chez Auchan, Suez, dans une startup, au Conseil département des Hauts-de-Seine, ou encore à la CPAM. Une organisation hybride, entre domicile et bureau, que semblent apprécier les membres de LinkedIn qui ont partagé leur expérience. Cela confirme cette étude de la Dares publiée mercredi dernier, qui démontre que le nombre d’accords d’entreprises concernant le télétravail a été multiplié par 10 entre 2017 et 2021.

Mais beaucoup de témoignages, reçus notamment par message privé, dénoncent un rétropédalage des employeurs sur la question du télétravail depuis quelques mois. Pour ces professionnels, la possibilité de télétravailler n’est pas du tout garantie. “Les services, et donc les managers, sont désormais les seuls à décider d’accorder tout ou partie des trois jours de télétravail hebdomadaires permis à l’échelle de l’entreprise”, confie le responsable paie d’un centre de lutte contre le cancer. Virginie Phulpin, chargée de projet dans la santé, explique dans un commentaire que c’est son supérieur qui est libre d’accepter ou non une journée à distance par semaine. En privé, une responsable de comptes dans un groupe d’édition professionnelle raconte être passée de trois  à deux jours de télétravail hebdomadaires, “pour des raisons de contrôle, à cause de l’inactivité de certains collaborateurs”.

Des rappels des dirigeants

Du côté des cabinets de conseil et de recrutement, qui travaillent avec de multiples entreprises, c’est le même constat. Alors que les candidats repérés par Hugues Prieur, directeur d’un cabinet RH dans le Loiret, demandent systématiquement s’il est possible de faire du distanciel, les employeurs avec qui il traite répondent souvent par la négative. Pour Audrey Carpentier, consultante RH indépendante en Normandie qui collabore notamment avec des PME, “dans les différentes entreprises que j’ai suivies, il est resté en moyenne une journée de télétravail par semaine, rarement deux”. Quant à Carole, directrice administrative dans une entreprise de services du numérique, elle constate que “le télétravail recule chez nos clients, demandant une présence plus prononcée”.

Pour beaucoup d’employeurs cités par nos membres, télétravail rime encore avec désengagement, voire inactivité. “Les salariés qui ont des velléités de télétravail intensif et de “full remote” ne sont pas bien vus chez nous car jugés peu disposés au travail d’équipe”, témoigne un responsable RH chez un fabricant de pulvérisateurs de peinture. Les dirigeants ont donc à cœur de remettre leurs troupes dans le droit chemin. “Notre PDG a poussé pour un retour au bureau du lundi au vendredi, raconte une responsable RH d’un géant mondial de la bière. Le message officiel est que dans notre culture et nos valeurs, nous travaillons mieux quand nous sommes ensemble.” Dans un groupe bien connu de construction, les réunions démarrent systématiquement par un rappel des dirigeants. “On nous répète que le présentiel permet plus d’échanges et que le télétravail doit rester une exception”, relate une salariée, qui n’ose pas demander plus d’un jour par semaine à distance.

La France à la traîne

Une réticence à lâcher la bride aux salariés, particulièrement marquée dans l’Hexagone. Avec ses 6% d’offres d’emploi proposant de télétravailler, la France se situe en 9e position sur les 12 pays étudiés dans notre étude. Loin derrière l’Espagne (18,4% des offres) ou l’Allemagne (9,4%). En revanche, tous les pays suivent peu ou prou la même courbe, avec un pic du télétravail au printemps 2022 puis une redescente. Un phénomène décrypté par l’entrepreneur Cyril de Sousa Cardoso, joint par LinkedIn Actualités. “En plein confinement, l’idée que le monde de demain pourrait être 100% en télétravail a émergé très rapidement, analyse-t-il. Mais la réalité opérationnelle a montré que l’interaction en face-à-face était nécessaire à la performance collective et à l’épanouissement professionnel. Ce qui se passe actuellement n’est pas un recul du télétravail, mais plutôt l’atteinte d’un point d’équilibre pour un travail hybride de bon sens qui contente les salariés, mais aussi les entreprises et les managers.”

Reste à savoir si, après la crise sanitaire, d’autres événements viendront bouleverser les certitudes des employeurs français. “En cette période trouble non plus sanitaire, mais économique, reculer serait un contresens”, anticipe Cendrine Maillard, directrice du développement RH chez Système U. D’ailleurs, le télétravail des agents de la fonction publique est l’un des piliers du plan de sobriété énergétique du gouvernement, présenté le 6 octobre dernier. L’idée? Demander aux agents de rester chez eux afin de réduire les coûts de chauffage des bâtiments et la consommation de carburant. Un bénéfice à la fois économique et écologique, à l’heure où les Etats cherchent des solutions pour réduire leur empreinte carbone.

* Le prénom a été changé


Méthodologie

Pour réaliser cette étude, les data scientists de LinkedIn ont regardé la part des offres d’emploi clairement labellisées “télétravail” ou “travail hybride” par les recruteurs, ainsi que les offres contenant le mot-clé “télétravail” ou autres synonymes, par rapport au nombre total d’offres d’emploi postées en France entre avril 2021 et octobre 2022.